Communiqué pour diffusion immédiateMontréal, le 21 juin 2020

Très cher Québec,

Je suis née aux confins de ta terre, mais sais-tu que mes ancêtres t’ont vu naître?
Sais-tu combien de nations autochtones il y a sur « ton » territoire?
Sais-tu que je ne suis pas une Innu?
Sais-tu que je ne suis pas une Première nation? Je suis une Inuk, du peuple inuit.
Sais-tu que mon langage n’est pas l’innu(-aïmun), mais l’inuktitut?
Sais-tu comment s’appelle le peuple qui vivait autrefois sur ce territoire à la place des condos ou des maison?
Sais tu comment s’appelait ce territoire avant qu’on y mette des saints partout?
Sais-tu comment ces mêmes gens qui ont planté tous ces saints dans ce décor ont traité mes ainés, mes ancêtres?
Et sais-tu combien d’autochtones sont morts ces dernières semaines aux mains des forces de l’ordre à travers le Canada?
Sais-tu combien sont morts sans que jamais on ne l’apprenne?
Sais-tu combien de commissions d’enquête le gouvernement a menées pour confirmer que les choses n’allaient pas bien dans nos communautés?
Sais-tu combien de femmes sont disparues dans les communautés à travers le pays récemment?
Sais-tu combien de jeunes s’enlèvent la vie tous les ans chez nous? Tu ne veux pas savoir!!!
Sais-tu que chez moi on écoute les aînés (inutuqait)? On les respecte, ils sont notre mémoire et notre sagesse.
Sais-tu combien de mes oncles ont été arrachés de leur village quand ils étaient enfants pour aller se faire « désindianiser » dans des pensionnats?
Sais-tu que mon père a vu ses chiens se faire massacrer par la GRC?
Sais-tu comment toutes ces douleurs se transmettent de génération en génération?

Pourquoi notre fête n’est elle pas reconnue? Pourquoi n’est-elle pas un jour férié tout comme le 24 juin ou le 1er juillet? Où sont les grands réseaux télévisés qui financent la Saint-Jean et le Canada Day? Pourquoi ne pourrions-nous pas organiser une gigantesque fête populaire ou tu pourrais apprendre de nous? On pourrait même inviter les Allochtones à venir jouer avec nous.
Notre fête est le jour le plus long de l’année. C’est le jour du solstice d’été.

On parle de deux solitudes au Canada, mais comment pouvez-vous ne pas nous considérer dans cette incompréhension à deux têtes? Est-ce parce que vous nous prenez pour acquis? J’ai toujours pensé qu’on devrait plutôt parler de trois solitudes.

Aujourd’hui, nous sommes des citoyens de seconde zone sur notre propre territoire. Le territoire de nos ancêtres et de nos croyances.
Où sont nos services?
Où est notre eau?
Où sont nos soins pour la santé mentale?
Où sont nos quotas pour notre musique et pour notre art?
Où sont nos visages à la télé?

Tu t’es battu pour que ta langue survive, à coup de lois. Pourquoi avez-vous essayé de tuer la mienne, les nôtres? Tu me dis que je chante dans une autre langue, tu parles même parfois de musique du monde??? Pourtant notre musique appartient à ce territoire, celui sur lequel tu vis.

Je n’arrive toujours pas à comprendre que la douleur d’avoir perdu notre maison, notre fierté, notre assurance, nos droits ancestraux, notre autonomie puisse être éclipsée par n’importe quelle autre douleur collective.

On voit les autochtones comme un seul et même bloc. Pourtant nous sommes si différents et diversifiés. Nos langues, nos coutumes… Il y a une chose qui nous réunit, c’est le rapport au territoire. Mais, je ne peux pas représenter tous les autochtones. Je ne suis pas assez. Et personne n’a le droit de me demander ça, ni à aucun autre autochtone.

Ma mère ne parlait ni le français ni l’anglais. Elle s’est battue pour que j’apprenne le français. Elle me faisait chanter Une colombe est partie en voyage (Céline Dion) tous les soirs après l’école. Elle me faisait monter sur une chaise devant les amis et la famille. J’ai dévoré Leclerc, suis tombée en amour avec la poésie de Desjardins et les chansons de Leloup. J’ai même flirté avec le trad. Pourquoi est-ce que aujourd’hui je me sens plus proche d’une Kim Thuy ou d’un Dany Laferrière? Pourquoi ai-je le sentiment de venir d’ailleurs. D’être une déracinée chez moi.

J’ai été curieuse de vous dès ma naissance.

Dans deux jours tu me verras chanter pour ta Saint-Jean, dans toutes les télés ou presque. Je serai là en amie. J’ai encore tant de choses à apprendre de vous, de nous et même de moi-même. Mais je commence à m’impatienter. Tout le monde doit faire preuve de curiosité aujourd’hui. Tes enfants devraient apprendre à l’école à dire Nakurmiik, Kwei…

Aujourd’hui c’est notre fête. Soyons fiers, et quand je dis nous je dis les Attikameks, les Cris, les Innus, les Naskapis, les Algonquins, les Abénaquis, les Malécites, les Micmacs, les Hurons-Wendat, les Mohawks et les Inuits. Le territoire nous unit et probablement la douleur que chacun de nous a vécu ces derniers siècles. Je veux simplement vous dire à quel point je vous aime, je nous aime!

-Elisapie